13.07.2020

Quand la mort s’expose au musée, partie 2

L’histoire de Sawtche est tragique . Arrivée à Londres début septembre 1810, elle est exposée, tel un animal, sur des scènes de cabarets londoniens. Elle décède cinq ans plus tard à Paris. Animalisée, sexualisée, la « Vénus hottentote » est reluquée et étudiée parce qu’elle est « autre », « différente », parce qu’elle n’est pas de la même « race ». Elle est une curiosité pour les naturalistes, un objet d’étude qui permet de mieux comprendre l’histoire de l’évolution de l’homme . Savants, anthropologues, anatomistes et artistes se pressent pour la mesurer, la dessiner, l’ausculter sous tous les angles.


Humiliée de son vivant, Sawtche continue à l’être une fois décédée. À sa mort, son corps est disséqué : certains de ses organes plongés dans des bocaux remplis de formol, rejoignent les étagères du Muséum National d’Histoire Naturelle (Paris ), puis celles des galeries d’anthropologie physique du musée d’ethnographie du Trocadéro (Paris ) – futur musée de l’Homme. Par ailleurs, un moulage en plâtre de son corps est effectué. Ce dernier, ainsi que son squelette, sont eux aussi exposés au Muséum d’Histoire Naturelle, avant de prendre place au Musée de l’Homme à partir de 1937, pour terminer dans les réserves de ce dernier dans les années 1970. Il est ressorti  temporairement en 1994 au musée d’Orsay comme témoignage de la « sculpture ethnographique du XIXème siècle » . Il demeure en Occident durant plusieurs décennies comme « un emblème de la connaissance anthropologique occidentale » , tandis que ses organes sont conservés pour le soi-disant  intérêt scientifique qu’ils représentent. Même dans la mort, toute l’humanité de Sawtche est niée, son corps, réifié, son histoire, effacée.


C’est en juillet 1994, à la fin de l’apartheid, qu’une demande de restitution des restes de Sawtche est émise par l’Afrique du Sud. Il faut néanmoins attendre huit longues années, jusqu’en 2002, pour que ceux-ci soient rendus par la France à sa patrie d’origine. Après un long périple de presque deux cents ans, Sawtche peut enfin rejoindre sa terre natale. Elle est inhumée le 9 août de la même année au cours d’une cérémonie nationale et suivant les rites de son peuple. Le retour de sa dépouille dans son pays d’origine a déclenché un grand nombre de demandes de restitution de vestiges humains, mais aussi de biens culturels par des peuples autochtones. Si cette question occupait déjà l’esprit des musées ethnographiques – entre autres – depuis une vingtaine d’années, le cas de la Vénus hottentote cristallise et symbolise ces revendications. Il est aujourd’hui du devoir des institutions d’interroger l’histoire de chaque « vestige humain » qu’elles abritent  et de rendre humanité et dignité à ceux et celles qui en ont été bien trop longtemps privé.e.s.

L’histoire de Sawtche a été maintes fois racontée. Publications scientifiques, films, livres, etc.  Chercheur.euse.s et acteur.trice.s culturel.le.s s’y sont intéressé.e.s, l’ont imaginée ou réinterprétée. Mais elle-même n’a jamais eu la possibilité de s’exprimer. Ce qu’elle a enduré et subi, ce qu’elle a ressenti, tout a été tu, étouffé. Parce que ses sentiments n’étaient pas importants. Parce que sa voix était jugée insignifiante. Parce qu’elle n’était pas, aux yeux des hommes et des femmes de l’époque, tout à fait humaine.
Son histoire, comme celles de nombreux hommes et de nombreuses femmes qui ont enduré ce même destin, ne doit pas être oubliée. Si ce que Sawtche et tant d’autres ont vécu nous semble aujourd’hui atroce et inhumain, cela ne reste pas sans conséquence sur le présent et l’actualité. Le traitement qui leur a été infligé a façonné et continue de façonner notre rapport à « l’Autre », à son corps  et à notre manière de le percevoir. Aujourd’hui, l’enjeu pour les institutions muséales, lieu de médiation et de transmission de l’histoire, est de réfléchir à leur collection , à leur passé et à la manière de le présenter. Elles ont la responsabilité de rendre justice aux « vestiges humains » iniquement exhibés.

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